mercredi 15 mai 2013


Repenser la démocratie voire notre république dans un tel état de décrépitude idéologique et économique relève semble-t-il de la gageure. Démocratie, République, Etat, Services publics, mots valises utilisés à tort et à travers par la presse, les politiques et les penseurs/artistes du "politically correctness", une redéfinition s'impose donc à l'orée d'un espoir de changements qui chantent..

La liberté est de facto ressentie et non pensée. Elle est devenue le synonyme d'une jouissance permanente (je jouis donc je fais donc je suis!) nous éloignant de son sens originel construit sur le droit et l'obligation de faire et  de ne pas faire: je fais quelque chose en m'imposant une limite, celle du tort fait à autrui. Ne voir cette définition  dans l'ombre de l'intérêt particulier, du profit de tout un chacun reste un contresens: l'intérêt général à savoir celui de tous, de la collectivité irrigue aussi l'essence de la liberté. Un homme est donc libre par sa conscience d'oeuvrer pour tous directement ou par ses représentants, action elle-même bornée par une obligation au respect de l'action de cette collectivité envers elle-même par son principal outil, l'Etat. Autrement dit, l'Etat se doit d'être le garant du respect des lois en s'imposant comme une nécessité extérieure à chacun.

Ce qui est le rapport normal d'une démocratie à savoir la soumission de la sphère privée à la sphère publique étatique est devenu aujourd'hui l'exception. Tout est soumis aux intérêts privés qui ne sont pas en quelque sorte ceux de la famille (celle-ci étant profondément atomisée dans sa dimension comme dans son rôle) mais ceux de la sphère de l'entreprise. L'Etat - et c'est le paradigme du début des années 2000 se trouve infériorisé par le marché, lui-même désormais financiarisé et internationalisé. Alors que les devoirs et droits de chaque citoyen sont inscrits dans le fonctionnement de l'Etat, émanation du peuple et accomplissant l'intérêt de ce dernier (soit l'intérêt de tous pour tous!), le citoyen ne sert plus que jamais des intérêts privés d'entreprises multinationales ayant positions dominantes, ceux-ci prenant la forme trompeuse de lois et règlements. Le lobbying vise in fine à asseoir l'Etat à ses objectifs en travestissant sa finitude qui ne sont ni la famille ni la société civile mais des groupements financiers de captation du bénéfice au profit exclusif de l'actionnaire. 


Les fondements de l'Etat pour reprendre Marx dans sa critique de la philosophie politique de Hegel sont la société civile et la famille à savoir une somme d'intérêts particuliers de citoyens mais aussi son dépassement par sa conservation: l'intérêt général est la conservation du particulier et se traduit dans l'Etat politique pour Hegel par un pouvoir législatif d'une part et par ce qu'il appelle d'autre part un pouvoir gouvernemental édictant des normes d'ordre général, le pouvoir du Prince étant laissé à sa seule subjectivité. 


Cette trinomie apparaît aujourd'hui totalement dépassée tant pour le pouvoir du Prince que pour le pouvoir gouvernemental qui n'a pas la capacité d'édicter des normes mais simplement de les exécuter. Ce qui est en revanche intéressant de noter est la volonté tant de Marx que de Hegel de partir des intérêts privés et d'en dessiner l'intérêt général décrivant voire limitant les premiers à la sphère de la famille et de ce qui en découle. Loin de lui l'idée d'assigner à l'intérêt particulier l'ambition personnel voire la recherche du profit, seule la conservation de la famille c'est-à-dire son organisation et sa transmission lui importent. Nous voyons de ce fait la distance d'avec l'état social contemporain dans lequel la famille n'appuie plus la société civile, celle-ci ayant été brisée dans sa structure par la multiplication des lois du divorce mais aussi malheureusement par la remise en cause de principes naturels à la base de la procréation et de l'éducation à savoir un homme et une femme, un père et une mère. 


L'individu est devenu isolé en dehors de toute sphère protectrice: il ne revendique non plus la conservation de ses proches mais une mise en avant de sa jouissance, de choix exonérés de toutes contraintes extérieures. Certes l'intérêt général distingue toujours ce qui est une démocratie mais s'évide de tout sens de conservation et de transcendance pour simplement maquiller une constellation d'intérêts isolés et individualistes. L'individu politique n'est donc plus, l'Etat reposant sur une concurrence entre revendications, les plus fortes l'emportant.


La souveraineté du peuple est ce qui définit la démocratie tant dans son fondement que sa forme. Je ne peux m'empêcher de me souvenir des propos débilitants des commentateurs politiques et autres "experts" sur le "Printemps Arabe" voyant dans la mise en place d'élections au suffrage universel l'avènement d'une démocratie radieuse! ou comment définir un système par ses effets et non par sa cause! Le suffrage suppose en effet une souveraineté d'une part et d'autre part un peuple: à supposer le second existant dans sa forme la plus simple d'une addition de personnes physiques, le premier implique une vitalité à part entière. Comment exister si la liberté d'expression n'est pas totalement permise, si le débat ne peut être organisé sans heurt et sans violence? Car comment reconnaître un souverain s'il ne s'exprime pas? Ce terme n'est pas une figure de style ni un concept théorique mais une réalité, un corps, une incarnation d'êtres vivants et pensants. Et tous ces commentateurs n'y ont rien vu oubliant ainsi l'essence du démos. 


Le souverain est le peuple et s'incarne dans une réalité objective d'expression de la pensée et de la parole, celles-ci trouvant synthèse dans la répétition du débat, ce dernier se traduisant ultimement par la mise en place d'une assemblée constituante. Le peuple crée donc la constitution à savoir la loi donc l'Etat.


Le problème est aujourd'hui la déconnexion entre l'Etat et le peuple autrement dit comment l'instrument par essence au service du peuple s'en détache et s'autonomise à travers la bureaucratie. A la fois nécessité et obstacle, l'Etat pose aujourd'hui la question de la viabilité des démocraties dans les sociétés postmodernes ou dit différemment comment envisager la représentation du peuple dans une société post-démocratique? 


L'Etat n'existe pas au dessus de la sphère privée, il n'en est en principe pas en opposition pourtant tout indique une réalité contraire. La bureaucratie, forme altérée de l'administration est en réalité omniprésente via une surenchère de textes de lois et règlements. Loin de moi l'idée d'une société exempte d'Etat chère aux économistes hayekiens et friedmaniens! (le problème de l'opposition marché/non-marché relevant du secondaire), mon but est de simplement souligner que la bureaucratie telle que Marx l'avait décrite est une classe en soit d'intérêts particuliers.

Si les garanties contre les abus de la bureaucratie sont la hiérarchie et la responsabilité des fonctionnaires, elles n'empêchent pas la création d'un esprit corporatiste au sein de l'Etat et n'est finalement guère différente des groupes de pression et d'influences dans la société civile. Cet esprit corporatiste est à l'Etat ce qu'est le lobby à l'économie de marché, un ensemble d'intérêts particuliers et conjoncturels détaché non seulement des textes constitutifs (lois, statuts) que des objectifs initialement poursuivi (intérêt général, production déterminé). C'est le même esprit qui les anime et de cela la démocratie donc le peuple en souffre.


En fait tout se passe "comme si de rien n'était"! La capacité de la corporation et de la bureaucratie tient dans l'identification à l'intérêt général, dans une forme trompeuse d'identification aux aspirations du peuple. La loi sur les mariages homosexuels en est un exemple parfait. Sous couvert d'un texte progressiste a été mis en place une loi répondant à différents groupes de pressions. On peut étendre cet exemple à systématiquement tous les dispositifs révélant la nature post-démocratique de notre société. Là où la société civile souhaite la conservation de ce qu'elle a le plus cher à savoir ses traditions, ses acquis sociaux, son standard de vie, le législateur tend à la surenchère car répondant à des groupes d'influences dont les agendas ne sont évidemment pas ceux du peuple!


La bureaucratie est en définitive le relais nécessaire à l'Etat et aux groupes de pressions et les uns ne peuvent exister sans les autres. Nous voyons ainsi la fausse opposition Marché/Etat ou privé/public quand les deux sont intriqués! La bureaucratie au service de l'Etat celui-ci n'étant plus au service de la société civile, les conflits d'intérêts étant devenus la norme de la post-démocratie.


L'objection est de dire évidemment que la sphère privée par sa réactivité et sa créativité n'a pas besoin de l'Etat, celui-ci plongé dans un temps longs réfractaire aux idées nouvelles et la technologie. En réalité tout ce qui est décrit par les entreprises comme défauts irréductibles est en réalité apprécié et recherché: l'obéissance passive, la division du travail à travers les administrations sont des outils efficaces à l'accomplissement d'objectifs privés tout en ne permettant pas aux citoyens d'avoir une compréhension globale de ce qui est mise en oeuvre.


Outre le fonctionnaire recruté sur de faux concours (comment un tel examen est-il compatible avec l'esprit libre du citoyen?), toute cette problématique de la collusion relève aussi de la mise en place du suffrage. Alors que le pouvoir législatif est en principe subordonné à la constitution donc au peuple et à la société civile, la constitution devient elle-même une illusion représentant des intérêts particuliers. Compromis entre une sphère politique et non politique, des approches de partis et de groupes de pression, la constitution n'exprime plus la volonté réelle du peuple (nous l'avons vu notamment avec le référendum sur la constitution européenne en 2005 et le coup d'Etat constitutionnel en 2008 de la ratification par delà le peuple via le Congrés). 


Inversement la société civile n'existe que par le suffrage mais les députés ne représentent que des intérêts particuliers à savoir un parti, un lobby ou plusieurs influences tournant autour d'un programme d'actions. Les députés se coupent de leurs mandants car le lien de confiance censé les unir se délite. La clef de la rénovation démocratique est donc une confiance entre le peuple et ses mandataires, confiance reposant la question d'une réorganisation de la constitution, du suffrage, de l'Administration et des relations entre la sphère privé et la sphère publique.