lundi 30 mars 2015

Bourse: vers un krach obligataire?


Qu'est-ce qu'un taux d’intérêt? ni plus ni moins que la traduction d’une demande de financement contre un prix convenu entre un prêteur d’une somme d’argent et un emprunteur, le premier pouvant être une banque (voire une institution financière non bancaire), une entreprise ou plus rarement un ménage. 

En dehors du contrat de prêt proprement dit, l’emprunt peut prendre la forme d’une obligation émise par l’emprunteur et cessible autant de fois qu’il en sera nécessaire par son détenteur. Elle est, avec l’action, ce qui définit primordialement notre modernité économique, les procédures de titrisation n’en étant que des succédanés.

Quand la demande est forte, les taux d’intérêt augmentent faisant baisser la valeur des obligations déjà émises à des taux plus bas. Inversement, quand la demande est faible ou l’offre trop abondante, les taux se relâchent et la valeur des obligations préalablement sur le marché remonte.

Dans une économie en croissance, une demande forte induit un besoin de financement en investissements: à l’instar du fait inflationniste en règle générale, des taux élevés sont le signe d’une bonne santé économique et d’une dynamique vertueuse des mécanismes de marché, l’appétit pour l’épargne financière ou immobilière en est un des signes. Cette dernière sert à nourrir aussi bien les investissements que la consommation jusqu’à la limite d'un prix maximum atteint. Les taux fléchissent alors, les agents cherchent à éviter des surcoûts et à maintenir leur productivité; accessoirement, le marché pare aux bulles spéculatives. 

Tout ceci bien entendu décrit un fonctionnement sain dans un cadre de régulation mesurée, les revenus étant appréhendés comme un facteur de croissance par les acteurs économiques (principalement les ménages).

Depuis 2009, la facilitation monétaire dite « Quantitative Easing », tant aux USA par la FED que dans l’Euro-zone par la BCE (dans un style plus feutré) ont contribué à l’augmentation de l’offre de liquidité disponible et baissé au quasi-nul les taux d’intérêts et ce, malgré une inflation soutenue jusqu’en 2012.

Alors qu’il aurait fallu une hausse des taux pour drainer les revenus d’activité et les bénéfices des entreprises vers l’épargne et contribuer de facto à faire face à la crise de liquidité des banques (une des conséquences des sub-primes), les banques centrales ont fait l’exact contraire, sur l’insistance des banques « Too Big To Fail » privées mais aussi de de Washington et Bruxelles !

Les taux faibles ont non seulement découragé l’épargne (l’assurance-vie en France par exemple) mais aussi l’investissement. Les entreprises cotées peinent à retrouver des prêteurs en attente d’une remontée des taux (la fameuse trappe à liquidités): après avoir été en stagflation, nous nous immergeons à pas comptés dans les remous de la déflation, effet direct de la baisse des coûts unitaires salariaux réels et du maintien des marges bénéficiaires.

Plus grave encore, les taux nuls ont engendré un biais dans la perception même du risque. Contredisant les signes les plus élémentaires d’une bonne santé économique (taux élevés pour une demande de fonds supérieure à l’offre), le refinancement facilité par les banques centrales déforme les arbitrages et distord les allocations d’actifs. En donnant une fausse image de marchés sécurisés, des bulles spéculatives se sont créées dans les marchés actions, obligations et immobilier.

Une précision cependant: la déflation dans l’Euro-zone n’est pas la conséquence de la baisse du prix de l’énergie. Le fléchissement avait commencé avant l’effondrement des cours; les prix auraient dû repartir à la hausse avec un indice Brent faible impactant le coût de production des autres produits, tel n'est pas le cas!

Que constatons-nous? Le Brent a augmenté de 10,75% au mois de février ralentissant par un effet mécanique une baisse de prix sur 12 mois de -0,3%; ces prix correspondent à des indices sectoriels quasi nuls voire négatifs (commerce de détail, alimentation, santé, vêtements, transports, immobilier, appareils de communications). La France suit cette tendance avec en février une inflation de 0,2% soit -33% en un mois dont notamment un indice des produits manufacturiers en net recul de -0,68%.

L’inflation désormais négative aux USA affiche un taux de -0,09 % en janvier 2015 confirmé en février à -0,03%. Un recul de l’investissement (et notamment des machines-outils) entraînera inexorablement un allègement de charges (dont celle de la main d’œuvre) affaissant la demande de consommation et les bénéfices des entreprises avec la conséquence alternative soit de faire remonter les taux soit de réinjecter des liquidités et de faire imploser le système par des bulles spéculatives.

Lorsqu’une entreprise enregistre une baisse de son bénéfice après impôts, les taux qui lui sont proposés sont élevés, le risque pour le préteur étant réel: quand toutes les obligations précédemment émises dans l’Euro-zone à des taux proches du zéro ne vaudront plus rien, les cours chuteront et feront exploser les dettes publiques, des défauts supplémentaires s’en suivront inexorablement.

Ce qu’il faut bien comprendre ici est la motivation première des marchés financiers: la recherche d’un taux annuel rémunérateur! Il n’y a aucune raison en effet d’investir pour un taux ne rapportant rien, la quête d’une proie telle qu’un Etat ou une entreprise reste de mise, le krach étant consubstantiel aux mécanismes hétérodoxes mis en place par les banques centrales et les Etats les gouvernant.

Si nous analysons les indices Standard & Poor’s (S&P), « l’International Corporate Bond » (obligations des entreprises hors USA) sur 10 ans ne s’est aucunement valorisé en trois ans alors que les obligations souveraines dans l’Euro-zone se sont valorisées de 38,50% ce qui en clair n'est ni plus ni moins qu'un effondrement des taux! Plus précisément l’indice S&P des obligations sur 10 ans de 2009 à 2015 donne un rendement annuel de 4,53% mais un rendement à maturité de seulement 1,22% (valeur de l’obligation conjuguée à son taux annuel et à sa durée) pour une valorisation de plus de 79% depuis 2009. Le constat est identique pour les maturités de 7-10 ans (rendement au  terme de 0,63%!) et de 5-7 ans (0,37%). Significativement les taux du Trésor français sur 10 ans sont de 0,43% pour une moyenne de 1,43% dans l’Euro-zone.   

Lorsque nous prenons acte d’un retrait de chez PIMCO (premier fond obligataire mondial) de 27,5 Mds USD en octobre 2014 (après une décollecte de plus de 65 Mds USD depuis mai 2013) assorti de la démission de son associé fondateur Bill Gross, nous avons l’obligation de nous poser des questions sur la viabilité d’un système générant 14 495 Mds USD d’obligations uniquement sur le marché américain dont 6664 Mds USD d’obligations souveraines et 6 215 Mds USD d’obligations émises par des institutions financières.

Une sortie de l’Euro-zone de la Grèce peut provoquer un krach obligataire mais il est aussi certain qu’une poursuite de la déflation au-delà de tous les QEs de la BCE n’en sera pas moins un facteur déclencheur: comment en effet appréhender un taux d’emprunt du Trésor français de 0% émis à la date du 13 mars 2015 autrement que par la prise de conscience d’un terrible aveu d’impuissance et de résignation des gouvernements en place ?

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