lundi 2 mars 2015

Moyen-Orient: redéfinition des frontières, la Russie en ligne de mire

Si le Système OMC/FMI s’effondre, cet effondrement dépendra de la baisse de l’étalon monétaire mondial qu’est le Dollar. Cette chute ne peut prendre que deux formes: d’une part une déflation sur le marché intérieur américain et d’autre part le déclin de la demande mondiale de la devise US par les effets conjugués de la poursuite du ralentissement du commerce mondial (voir article prévisions 2015) et de la substitution progressive d’un nouveau système au sein des BRICS (la fameuse « dé-dollarisation »), substitution renforcée par le retour aux monnaies nationales en Europe. Il est désormais clair que l’Euro favorise par son cours élevé le Dollar et empêche, à l’exception de l’Allemagne, toute croissance du commerce extérieur des Etats-membres de l’Euro-zone.

Sous cet angle, les attaques contre la Russie comme l’accélération de l’intégration de l’UE sont des enjeux cruciaux pour les USA, la montée des tensions avec la Chine représentant une alerte à moyen terme, une fois la Russie et l’UE définitivement neutralisées.

Dans cette perspective d’affaiblissement de la puissance russe, une troisième phase s’ouvre, les deux premières ayant été l’affaire ukrainienne (dont sont issues les sanctions à l’encontre du système financier russe) et les spéculations sur le rouble et le cours du baril.

Ce troisième temps comprend une mise en œuvre en deux axes : le premier est la coupure des exportations russes de pétrole et de gaz vers l’Europe à travers - et c’est le second axe - la construction d’un pipe-line traversant une péninsule arabique redessinée dont la Syrie, l’Iran et la Turquie seront les grands perdants. Si en effet l’Iran et la Syrie, partenaires déclarés de la Russie, représentent des cibles aisément identifiées, la Turquie l’est beaucoup moins mais  son affaiblissement est la condition d’une redéfinition des frontières dont le principal vecteur  est l’Etat Islamique (EI).

Je m’attacherai ici en plusieurs points à la situation au Moyen Orient à partir notamment de l’article d’Observer et des cartes ci-dessous (voir liens en sources). 

1) L’acheminement du pétrole/gaz d’Arabie Saoudite

- Les oléoducs seraient le moyen le plus sûr pour le pétrole saoudien d’être acheminé vers l’Europe via la Syrie, l’Irak et la Turquie au contraire des supertankers, soumis aux aléas géopolitiques des détroits d’Ormuz et de Chatt-El-Arab.

- Tant le gaz naturel saoudien que qatari pourraient également emprunter cette même voie vers l’Europe. Ce constat est le point d’achoppement des projets Nabucco et South Stream.

Le gazoduc Nabucco est un projet américain, décidé en 2002, d’acheminement du gaz d’Azerbaïdjan (pays largement sous influence diplomatique US mais ayant renoué ces dernières années des relations fortes avec la Russie et l’Iran) vers l’Europe via la Géorgie, la Turquie et la Bulgarie. Ce gazoduc devait à terme se doubler en oléoduc pour le transport pétrolier en provenance d’Irak, d’Egypte et d’Iran.  

Il a été cependant abandonné par décision de l’Azerbaïdjan d’utiliser le gazoduc TANAP-TAP qui passera par la Turquie, la Grèce, l’Albanie et l’Italie pour d’une part, des raisons de coûts, et d’autre part de prix plus élevés pratiqués dans les pays traversés. Sa construction a été décidée en octobre 2014.

Concurremment, le gazoduc South Stream (projet russe de Gazprom avec des capitaux italiens, allemands et autrichiens) a été décidé en 2007 et confirmé en 2010 pour acheminer le gaz de Russie et du Kazakhstan par la Mer Noire (en dehors de la Turquie) vers l’Europe. Tout comme le Nabucco, il devait aussi se connecter à terme aux pétroles irakien, iranien et égyptien et tout comme ce dernier fut abandonné par décision de la Russie sur l’insistance de la Bulgarie, elle-même sur ordre de l’Union Européenne et des USA.

2) L’affaiblissement de la Turquie et la création du Kurdistan.

L’EI revendique un territoire aux contours indéfinis partant des foyers insurrectionnels syriens aux zones conquises dans l’espace kurde irakien, rassemblant politiquement l’aile dure du wahhabisme sunnite et économiquement axé sur l’exploitation du pétrole.

Si l’EI (plus exactement l’Etat Islamique en Irak et au Levant regroupant Al-Qaïda en Irak et le Front Al-Nosra, ex Al-Qaïda en Syrie) cherche visiblement à unifier les sunnites du Moyen-Orient dans un Califat en cours de création, le soutien de l’Arabie-Saoudite leur sera nécessaire pour le contrôle de Médine et de la Mecque ce qui soulève une fois de plus l’implication possible de l’Arabie dans la guerre en cours mais révèle aussi sur le plan géo-économique une certaine clarté sur la route des oléoducs à suivre jusqu’à l’Europe via Bakou (le TANAP-TAP pouvant y être relié par la même occasion !), Soupsa (Géorgie) et les ports de Constanta (Roumanie) et Burgas (Bulgarie) sur la Mer Noire.

Une telle vision n’a cependant que peu de chances de se réaliser tant la résistance des peshmergas kurdes est forte, motivée par l’opportunité d’unifier définitivement leur peuple dans un Etat redéfini sur les frontières irakiennes, iraniennes, syriennes et turques !

La stratégie américaine pourrait dans cette perspective tant soutenir la résistance kurde que l’EI et aider à finaliser le Kurdistan au dépens des Etats limitrophes affaiblissant simultanément les intérêts russes en Syrie et en Iran.

Nous avons vu depuis quelques mois maintenant une réticence de la Turquie à intervenir contre l’EI, autrement dit à prêter indirectement main-forte aux peshmergas. Cette réticence s’est non seulement convertie en soutien non-dit à l’EI mais à un rapprochement politique et économique avec son ennemi immémorial qu’est la Russie alors même que la Turquie abrite l’une des plus grande base de l’OTAN dans cette partie du monde !

3) Le nouvel Etat de l’EI

Le Kurdistan nouvellement créé impliquerait évidemment, en retour, la création définitive de l’EI afin de pacifier, s’il en était possible, le nouveau tracé du pétrole saoudien obligeant comme nous l’avons dit l’Arabie à concéder La Mecque et Médine au Califat et mutualiser entre les deux Etats des intérêts bien compris: la concession des lieux saints à l’EI contre la sécurisation de la nouvelle voie pétrolière notamment via le Kurdistan. Ce dernier cependant y trouvera son compte par la perception de taxes sur le passage du pipeline et par des liens renforcés avec le Pentagone/OTAN et l’OPEP.   

4) Partition définitive de l’Irak

La conséquence directe à l’établissement de ces deux Etats pourrait en être la création de deux autres ! Les sunnites irakiens revendiqueront avec l’appui de l’EI et par opposition aux kurdes une sécession de l’Irak actuel et par contrecoup, les chiites créeront le leur, soutenu par l’Iran dans ce processus.  

Erdogan sera à n’en pas douter le grand perdant de cette redistribution des cartes et il est aussi probable qu’un « regime change », « une révolution colorée » de type Maidan ait lieu en Turquie comme nous en avons vu quelques tentatives courant octobre/novembre 2014.

Si Erdogan disparaît, le projet Nabucco pourrait en effet être remis à l’ordre du jour, le passage à travers les plaines turques serait de nouveau sécurisé et relié aux oléoducs BTC et TANAP-TAP.

5) Guérillas EI dans le Caucase Nord et réactivation du conflit dans le Haut-Karabagh

L’affaiblissement de la Russie pourrait se poursuivre jusqu’au changement de régime et la démission/renversement de Poutine ce qui suppose outre la coupure des exportations russes vers l’UE et la disparition de ses alliés au Moyen-Orient, la poursuite de foyers insurrectionnels sur le sol même de la Russie. 

Des mercenaires de l’EI sont déjà à l’œuvre dans les régions du Caucase Nord et particulièrement dans le Daguestan. La reprise en main de la Tchétchénie par Kadirov, soutien fidèle de Poutine n’a fait que déplacer les activistes wahhabites dans le pourtour de cette république aux abords de la Mer Caspienne. De même le conflit du Haut-Karabagh, enclave arménienne au sein de l’Azerbaïdjan peut être facilement réactivé par des activistes islamiques (principalement Azéris) revendiquant un Azerbaïdjan unifié ce qui serait un casus-belli pour l’Arménie et la Russie.

6) Foyers talibans en Asie Centrale et dans la région de la  Volga

Nous le voyons, la partition de l’Irak aura inévitablement des conséquences sur la sphère afghane. Un Iran amoindri dans ses frontières réactivera le mouvement sunnite Joundallah iranien et ses connections avec son homologue baloutche en territoire pakistanais, les deux mouvements étant supposés avoir des liens étroits avec Al-Qaïda. 

Cette montée en puissance d’un sunnisme extrémiste dans cette région ne peut qu’encourager les mercenaires talibans à étendre leur influence vers l’Asie Centrale non seulement dans les Etats alliés de la Russie (Turkménistan, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizistan) mais au sein même de la Russie aux abords de la Volga (le Tatarstan musulman notamment), exacerbant in fine l’émulation des mouvements islamistes locaux.

Pour conclure, tout ceci reste un scénario possible et réalisable à court et moyen terme. L’important est d’en comprendre seulement la dynamique: la réussite pleine et entière de cette stratégie est secondaire, seuls importent son degré de nuisance et sa capacité à détériorer les  intérêts russes dans ces régions tout en maintenant le « State Building », l’emprise du dollar dans les négociations de marchés publiques renouvelés, les fournitures d’armements et de mercenaires et ultima verbum, le contrôle indirect des cartels dans le « Croissant d’Or ».






Sources :      



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