mercredi 12 août 2015

Chronique d’un krach annoncé (regard sur les CDS)

Pour illustrer le délitement en cours du Système, le « Credit Default Swap » ou CDS se révèle un indice financier pertinent que je n’avais pas mis en évidence jusqu’ici. Je me permets donc de corriger cette carence par l’analyse suivante.

A partir de l’existence d’une obligation, titre émis par un emprunteur (Etat, entreprises, établissements financiers) à des souscripteurs (prêteurs) échangeable sans formalité, de gré à gré ou en bourse, le créancier peut se couvrir contre un risque d’impayé (banqueroute, moratoire, restructuration) via un CDS. Il s'agit , en quelque sorte, d'un contrat d’assurance, lui-même négociable et côté en bourse comme toute valeur mobilière.

Au milieu des années 90, JP Morgan et sa responsable du service « dérivé » la sémillante Blythe Masters https://fr.wikipedia.org/wiki/Credit_default_swap) ont créé ce produit dans lequel l’assuré créancier de l’obligation paie une prime (dit prix ou « spread ») pour se faire rembourser en cas de défaut du montant (dit notionnel) de l’obligation. Plus le risque du débiteur est grand, plus la prime (1) est élevée. Inversement, plus le risque diminue, plus la prime est faible.

Que le risque concerne un Etat ou une entreprise, nous voyons immédiatement que le CDS est un bon indicateur des tendances en cours que avons tentées de décrire dans les articles précédents. Sachant qu’un Etat ayant une bonne capacité d’emprunt et de financement induit un spread entre 0 et 100 points, nous pouvons dès lors analyser les principaux acteurs du commerce mondial par zones.

A première vue, pour le mois de juillet, les primes CDS sur 5 ans (source Markit) sont en augmentation sur la zone Amérique Latine resserrée aux Venezuela, Brésil, Argentine, Uruguay et Chili. Ce relèvement du risque n’est cependant pas justifié par les dettes publiques, celles-ci  ayant des ratios tout à fait acceptables à la fin 2014, début 2015: 50% du PIB pour le Mexique, plus de 65% pour le Brésil, 45,6% pour le Venezuela, 38% pour la Colombie, 45,6% pour le Panama. En réalité, la négociation des CDS se fixe sur les taux d’inflation qui atteignent des proportions alarmantes telles 65% pour le Venezuela, plus de 21% pour l’Argentine depuis janvier selon que la source est l’INDEC(2) ou plus de 40,5% selon des sources privées depuis la dépréciation de 35% de la monnaie à partir de la mi-2013 (rapporté par le service « Economic Research » de la BNP).

On trouve dans une moindre mesure des taux relativement importants au  Brésil à 8,89% à la fin juin 2015 (le CDS est à 300 points de bases contre 228 en avril 2015 et 151 à la mi-2014) mais une inflation contrôlée au Mexique avec 2,87%, en Colombie avec 2,9% à la fin 2014, au Panama avec 2,6% ce qui explique la baisse des CDS pour ces derniers pays.

Le risque souverain existe donc par la monnaie: celle-ci se dépréciant dans son rapport aux devises étrangères, l’économie nationale subit une perte de valeur se traduisant par des coûts  de production/importations et un renchérissement des prix, cycle dès lors récessif entrainant une baisse de la demande et une augmentation du chômage ce qui est le cas pour l’Argentine depuis le troisième trimestre 2014 et ce, malgré un rebond de 1,5% début 2015.

Le CDS peut être une bonne mesure d’une dérive, d’un long dérapage des autorités monétaires, sans frein et sans direction vers le point de rupture de l’hyperinflation, crise de confiance dans la monnaie se traduisant par des taux dépassant les 100% d’inflation et une substitution des monnaies étrangères ou des métaux précieux. Les CDS sur l’Argentine à la mi-juin 2014 étaient à plus de 2500 points de base pour se maintenir par la suite dans une fourchette entre 1500 et 2000 points (à noter que les CDS d’un an avaient pris plus de 2500 points entre la mi et la fin juillet !).

Par contraste, le Venezuela avec 5970 points au 7 août et une récession de plus de -4% dérive vers ce fameux point de rupture. 

Au risque de me répéter, une monnaie dépréciée impacte tôt ou tard les finances publiques par une baisse concomitante des rentrées fiscales (faillites d’entreprises via le renchérissement des coûts et la baisse de la demande) et une hausse de la dépense en vue du maintien des infrastructures de l’Etat tant nationales qu’internationales.  Et pour cause, en un mois, le spread vénézuélien a pris plus de 1170 points. 

L’Argentine et le Venezuela constituent l’apex d’une situation sud-américaine tendant vers la maîtrise de son inflation. Le Chili et l’Uruguay ont des CDS dépassant respectivement les barres des 100 points et 310 points pour des taux d’inflation de 4,42% et de 9%, l’économie de l’Uruguay se ralentissant mais restant parfaitement sous contrôle dans une zone caractérisée par des politiques publiques corrompues empêchant toute bonne circulation du capital et profitant de facto aux entreprises étrangères principalement américaines mais aussi chinoises(3) et russes (particulièrement depuis l’embargo)(4) pour des investissements sous valorisés.

Tant que ces problèmes de maitrise de monnaies et d’investissements ne seront pas résolus,  l’Amérique latine restera une proie pour les entreprises étrangères. Sans embauche et sans dynamique fiscale, ces économies resteront dépendantes de leurs avantages naturels mais ceux-ci ne seront en rien un moteur de croissance. Sans relais/soutien dans l’économie comme nous l’avons vu pour l’Administration Chavez, la chute du brut n’étant pas dans ce cas la cause réelle de la récession du Venezuela, le contre-exemple étant la Russie.

La Russie se rétablit avec un CDS en baisse autour des 300 points (215 à la mi-2014), niveau étrangement élevé au regard de réserves de changes, d’or et d’énergies fossiles sans commune mesure avec le reste du monde. L’échec de l’attaque spéculative sur le rouble n’est que le révélateur de cet état de fait, le montant du spread ne reflétant en fin de compte que le niveau des sanctions contre l’économie russe et in fine un statuquo géopolitique.

De même, les énormes réserves de devises et d’or de la Chine et un renminbi s’appréciant internationalement contribuent à une valeur totale de CDS émis de 14,1 Mds USD à la mi-2014 soit un spread à moins de 80 à la fin 2014. Les CDS ont pourtant repassé la barre des 100 (101,6) au mois d’aout 2015 et augmenté de 8,21% depuis la fin juin et de 33,68 % depuis la mi-2014.

Cette hausse ne peut totalement s’expliquer par la baisse de croissance du PIB mais plus sûrement par la diminution des réserves de change et la vente des « US Treasuries » (cf article précédent) ce qui traduit un changement de cap dans les orientations économiques de Beijing, un cap désormais tourné vers la relation sino-russe, un commerce ouvert au renminbi et une diversification dans la répartition des créances souveraines. 

Tournons-nous maintenant vers la zone Euro: les CDS baissent alors que la zone est rongée par les dettes publiques et une stagflation persistante. Seule la BCE sustente le système par un financement hypertrophié au bénéfice des méga-banques européennes et américaines.

Plus précisément, l’Espagne se rapproche des 100 points pour une dette de près de 100% (sans l'addition des dettes des régions), l’Italie a dépassé les 112 points pour une dette de plus de 132%, le Portugal atteint les 164 points pour plus de 130% d’endettement public tandis que la Grèce a dépassé les 1900 points quand le déficit public est alourdi par près de 180% d’obligations envers des créanciers essentiellement privés.

Il apparaît que la moyenne des CDS (Allemagne, France, Espagne, Grèce, Italie,  Belgique, Pays bas, Irlande et Portugal) s'élève à 290 points soit pratiquement l’équivalent du Brésil et de la Russie). Si je rajoute la Suède et le Royaume-Uni, la moyenne tombe à 240. Si bien entendu, j’enlève la Grèce, la Grande Bretagne et la Suède,  nous retombons à 66 points ce qui nous ramène aux normes d’un risque de défaut faible mais dois-je le faire pour autant?

Nous sommes ici dans une situation délicate dans laquelle un artifice financier, les QEs de la BCE, soutient une zone endettée en moyenne à plus de 90% du PIB avec cependant quelques Etats vertueux comme les Pays-Bas avec 70% ou l’Allemagne avec + de 75%, je mets en effet de côté les Etats sans signification économique à eux seuls comme le Luxembourg, l’Estonie ou la Roumanie.

Quant aux USA, le spread est à 16 pour une dette publique dépassant les 110% début 2015 (sans prendre en compte les dettes cumulées des Etats fédérés), une inflation proche du nul voire négative (cf les chiffres en février 2015) et une population précarisée à 97%. Tout le système repose donc sur le dollar et, au regard de ce que nous avons vu avec la Chine dans le dernier article, tout peut basculer vers un retour aux puissances traditionnelles ancrées dans des devises aux valeurs assises sur les métaux précieux.

Les CDS souverains sont un indicateur certes intéressant mais insuffisant sans une compréhension complète des mécanismes d’endettements publics et de politiques monétaires. Seule l’approche géoéconomique nous offre une lecture des rapports de force en cours dont les acteurs émergeants que sont la Chine, la Russie et dans une moindre mesure le Brésil et l’Inde lesquels renouvellent ultima fine les critères du risque.

Inversement, le choix de soutenir des économies par des « facilitations » monétaires reste perçu par les opérateurs seulement sous l’angle de la puissance reconnue des Etats-Unis et de son vassal européen mais rien en l’état ne justifie ce contraste entre des primes faibles et des dettes astronomiques, entre une inflation nulle et des déficits commerciaux. Là encore le rapport de force est sous-jacent et c’est bien ce qui nous inquiète dans ces années charnières.  

 
(1) prime exprimée en points de base, un point de base valant 0,01%: par exemple si le CDS a un spread de 976 points de base pour un contrat de 1M USD, la prime annuelle sera de 97600 USD. Voir le blog des masters 111 et 211 de l’Université de Dauphine 








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